Chante grillon !

Jean-Pierre Claris de Florian [1735-1794]

Fabuliste, chansonnier, romancier, auteur dramatique, ce sont assurément ses Fables qui sont son meilleur titre. Publiées en 1792, ces 89 narrations expriment une conception " pastorale " conformément à la mode de son temps. Il propose souvent avec charme et malice une morale empreinte d'indulgence.

C'est ici le grillon, notre grillon champêtre (Gryllus campestris L.) qui assure la mission d'instruire les hommes.

Le grillon

Un pauvre petit grillon
Caché dans l'herbe fleurie,
Regardait un papillon
Voltigeant dans la prairie.

L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs;
L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes;
Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.

Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents ! dame nature
Pour lui fit tout, et pour moi rien.

Je n'ai point de talent, encore moins de figure,
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas :
Autant vaudrait n'exister pas.

Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants :
Aussitôt les voilà courants
Après ce papillon dont ils ont tous envie.

Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper;
l'insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.

L'un le saisi par l'aile, un autre par le corps;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d'efforts
Pour déchirer la pauvre bête.

Oh ! oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.

Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons caché.

[R] Paru dans Insectes n°116.

 

Jean-Henri Fabre [1823-1915]

Dans la 6e série des "souvenirs entomologiques" l'auteur se distrait en parodiant Florian à qui il reproche "les fadaises d'une réthorique sans vie qui oublie la chose pour le mot" et il ajoute "D'ailleurs quelle idée, saugrenue d'aller faire du grillon un mécontent, un désespéré qui se lamente sur sa condition ?"

Pour lui, peut être s'assimile-t-il avec une pointe de vanité à notre insecte, le grillon. " Loin de se plaindre, il est très satisfait et de sa demeure et de son violon". Voici donc sa version.

Le grillon

L'histoire des bêtes rapporte
Qu'autrefois un pauvre grillon,
Prenant le soleil sur sa porte,
Vit passer un beau papillon.

Un papillon à longues queues,
Superbe, des mieux décorés,
Avec rang de Lunules bleues
Galons noirs et gros point dorés.

"Vole, vole, lui dit l'ermite,
Sur les fleurs, du matin au soir :
Ta rose ni ta marguerite
Ne valent mon humble manoir".

Il disait vrai. Vint un orage,
Et le papillon est noyé
Dans un bourbier : la fange outrage
Le velours de son corps broyé.

Mais la tourmente en rien n'étonne
Le grillon, qui dans son abri,
Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il tonne,
Vit tranquille et chante cri-cri.

Ah ! n'allons pas courir le monde
Parmi les plaisirs et les fleurs ;
L'humble foyer, sa paix profonde,
Nous épargneront bien des pleurs.

 

 

Le grillon du résinier

conte landais

Ce n'était pas un grillon, ce n'était pas une cigale. Mais allez donc savoir dans ce fichu pays quand les aiguilles de pin filtrent le soleil et n'en laissent passer que les plus capiteux des rayons ! Le tournoiement des abeilles dans le léger brouillard qui suinte des bruyères et l'odeur de térébenthine ajoutent encore à l'ivresse.

Le grillon, nous le savons, cherche la présence des hommes. Quand il vit cette bête toute noire de peau, toute guillerette de sa chanson, Pierre la prit pour un grillon.

En bon résinier, il est vrai, Pierre n'était jamais sorti du pays et les "m'as-tu-vu" de la ville qui ne se croient pas rien, le disaient simplet. Il l'était à sa manière puisqu'il se mit à parler au grillon comme à leur chat ou à leur chien : "Petit grillon, petit grillon, dis-moi quelque chose, je suis si seul depuis que les bergers ne mènent plus leurs moutons dans la lande."

Le grillon lui répondit : "Repose-toi, bon résinier, sur la mousse qui pousse au pied du gros pin. Ecoute-moi et après, tu partiras, si le cœur t'en dit. Tu compteras dix crosses de fougères devant toi. Tu dépasseras sur ta gauche deux brandes à balai. Après, tu marcheras face au soleil jusqu'au troisième ajonc et tu trouveras un sentier tout plein d'un épais tapis d'aiguilles de pin. Tu ne seras plus jamais seul."

Et le grillon s'en fut comme il était venu, dans un titillement de soleil.

Pierre, qui n'avait jamais tant compté a retrouvé les dix crosses, les deux brandes et les trois ajonc. Il allait s'engager dans le sentier quand il surprit le regard moqueur d'un liron qui se balançait à la grosse branche d'un pin franc. " Mon beau liron, mon beau liron, dit Pierre de sa voix suppliante, n'as-tu pas vu passer quelqu'un sur ce sentier ?

- Si fait, dit le liron. C'était au temps du grand Napoléon. J'ai vu un officier d'Espagne tout dépenaillé courir derrière les genêts. Il a couru jusqu'au pin penché sur la rivière et a creusé un grand trou entre les racines qui vont à l'opposé de l'eau."

Pierre a bien remercié le liron avant de se rendre à la rivière qui coulait toute rouge et fraîche entre les scolopendres. Le pin s'y trouvait toujours. Il avait bien grossi depuis lors et avait été tant gemmé qu'il en était tout couturé de cares. Il était tant penché qu'il avait jeté à l'opposé de la rivière une grande racine noueuse comme une corde d'amarrage.

Pierre a creusé à mains nues sous la grosse racine torte. Il y a trouvé la plus belle cassette qu'on ait jamais vue, amoureusement tenue par la racine du pin. Et quelle belle amasse il y avait ! Plus dorée qu'un barras, plus luisante qu'une goutte de résine qui boit le soleil : rien que des topazes et des diamants, des louis d'or et des doublons. Pierre s'en revint lourd de son secret et de sa cassette.

Ce fut comme si tous les grillons avaient chanté la découverte dans la nuit qui suivit, une nuit d'avant l'orage quand la nature est calme et quand les animaux sont énervés. Autant vous dire que, comme la plupart des secrets, il était plutôt mal gardé.

Le premier que Pierre vit en se levant fut le Curé.

"Ce n'est pas encore le moment, dit Pierre qui crut à l'extrême-onction.

- Si fait, si fait, dit que le curé, j'ai mes pauvres à soigner. " Il venait à peine de partir que le maire fit son entrée.

" J'ai besoin d'un stade, dit le maire.

- A votre service, dit Pierre, toujours vaillant à travailler. Ce n'est pas cela dit la maire. Avec tout ton bien tu peux te reposer. On trouvera quelqu'un pour défricher. "

Après est venu l'instituteur, pour un globe terrestre et quelques bâtons de craies, le président de l'équipe de rugby, pour le déplacement des supporters, le trésorier du club de cycliste, pour des rustines, l'amiral des Dragons d'Arcachon, pour le champagne de la régate… Il en venait de partout comme guêpes sur du raisin quand il est tout chaud de soleil.

Le résinier ne fut plus jamais seul, jamais, tant qu'il eut quelque chose à donner.

Quand il n'a plus rien eu du tout, il a retrouvé le grillon, comme un gros criquet, gai comme un pinson, toujours noir comme du charbon. Mais il lui semblait tout autre, comme soulagé. Il l'a mis dans la cassette qu'il porte depuis en bandoulière quand il s'en va gemmer ses arbres, le hapchot sur l'autre épaule, tout bardé de lamelles de zinc comme les chasseurs font des cartouchières.

Les gens du village, qui ne lui parlent plus, disent que la fortune l'a rendu fou et qu'il ne s'en est jamais remis. Ce qu'il ne savent pas, ceux du village, c'est qu'il a mis dans sa cassette, non pas le corps d'un grillon mais l'âme d'un déserteur qui avait caché dans la lande le produit de ses rapines. Depuis que le trésor s'est volatilisé, l'officier parle au résinier.

Lorsque Pierre a bien travaillé et qu'il sort sa gourde de courge sous un chêne au frais d'un ruisseau, il entr'ouvre sa cassette et l'officier raconte ses campagnes : Rome, Vienne, plus belle encore que Paris, la Russie et toute l'Espagne. Pierre, qui n'a jamais quitté le pays, connaît aujourd'hui l'Europe mieux que les villageois qui affectent de l'ignorer, et les touristes qui le méprisent.

Il est vrai qu'il ignore Waterloo, l'officier n'ayant pas connu les défaites de l'Empereur.

C. Daney

Contes de la mer, de la lande et du vent

(Editions Loubatières 1990)

 

 

Auteur anonyme

Leçon de morale : le grillon

Un Amérindien et son ami, en visite au centre ville de New York, marchaient près de Times Square dans Manhattan. C'était durant l'heure du lunch et les rues étaient bondées de monde. Les autos klaxonnaient de plus belle, les autos taxi faisaient crisser leurs pneus sur les coins de rue, les sirènes hurlaient et les bruits de la ville rendaient presque sourd. Soudain, l'Amérindien dit : "j'entends un grillon."

Son ami répondit : "Quoi? Tu dois être fou.Tu ne pourrais jamais entendre un grillon au milieu de tout ce vacarme!"

"Non, j'en suis sûr," dit l'Amérindien, "j'entends un grillon."

"C'est fou," dit l'ami.

L'Amérindien écouta attentivement pendant un moment, puis traversa la rue jusqu'à un gros planteur en ciment où poussaient quelques arbustes. Il regarda à l'intérieur des arbustes, sous les branches et avec assurance il localisa un petit grillon. Son ami était complètement stupéfait.

"C'est incroyable," dit son ami. "Tu dois avoir des oreilles super-humaines !"

"Non," répondit l'Amérindien. "Mes oreilles ne sont pas différentes des tiennes.

Tout ça dépend de ce que tu cherches à entendre."

"Mais ça ne se peut pas !" dit l'ami. "Je ne pourrais jamais entendre un grillon dans ce bruit."

"Oui, c'est vrai," répliqua l'Amérindien. "Ça dépend de ce qui est vraiment important pour toi. Tiens, laisse-moi te le démontrer."

Il fouilla dans sa poche, en retira quelques sous et discrètement les jeta sur le trottoir. Et alors, malgré le bruit de la rue bondée de monde retentissant encore dans leurs oreilles, ils remarquèrent que toutes les têtes, jusqu'à une distance de sept mètres d'eux, se tournaient et regardaient pour voir si la monnaie qui tintait sur le pavement était la leur.

"Tu vois ce que je veux dire?" demanda l'Amérindien.

"Tout ça dépend de ce qui est important pour toi."

 

 

Le grillon champêtre

2000 espèces de grillons dans le monde

gryllus campestris

ordre: orthoptère 15 000 espèces connues

famille : gryllidae

On entend plus que l'on aperçoit le grillon. Commun dans les prés et au bord des chemins son chant monotone résonne tout au long du printemps. Insecte noir brillant mesurant de 2 à 2,5 cm, au corps ramassé, à la tête large et arrondie. Ses antennes sont longues et fines, servant à communiquer avec ses congénères et prendre connaissance du monde extérieur.

Ses grands yeux composés lui sont d'une grande utilité car le grillon des champs est essentiellement diurne. La nuit, il reste caché dans son terrier qu'il a creusé lui-même. Ses pattes arrières sont puissantes et adaptées pour le saut; c'est un moyen de locomotion bien pratique car le grillon ne vole pas. En effet les ailes couchées  à plats sur son dos ne servent qu'au chant, les ailes postérieures sont à titre de vestiges ou absentes. Des griffes solides terminent les pattes.  Le chant, que le mâle pratique de mai à fin juin, est réalisé en frottant aile droite sur aile gauche. Il varie selon  sa fonction :

- attirer les femelles,

-l es incite à la reproduction,

- repousser les mâles rivaux.

Le chant que nous entendons le plus souvent est celui qui attire la femelle  pour fonder un foyer.

Le chant du grillon est plutôt aigu, émet dans les ultrasons (de 18 000 à 20 000 hertz) que nous ne pouvons entendre. Les organes de l'ouïe sont situés dans les pattes antérieures. Les  mâchoires de type broyeur des grillons sont adaptées à sa nourriture : des plantes principalement (feuille de laitues), même si on l' a vu omnivore.

Après la reproduction la femelle dépose ses oeufs en plusieurs fois sous la surface du sol,dans un creux formé à l'aide de son oviscapte (= organe long et pointu, inoffensif , qui prolonge l'abdomen de la femelle ).

Il ne faut pas confondre l'ovipositeur de la femelle et la paire de cerques présente chez les deux sexes. L'usage du premier est dit ci-dessus, quant au second, les cerques, assez longues chez les grillons, lui permettent de se situer dans son environnement.

Les oeufs peuvent passer l'hiver sous terre, mais plus généralement, 15 jours après la ponte, les jeunes grillons éclosent sous forme de larve, silhouette plus adaptée pour atteindre la surface. Plus tard, un tout petit grillon blanc, copie conforme de ses parents, apparaît. Il lui faudra 24 heures pour se colorer, puis une dizaine de mues pour atteindre la taille adulte. Les jeunes errent en automne puis fin octobre vient l'élaboration du terrier personnel, long de 20 cm environ, où le grillon pourra se cacher, dormir, et chanter sur le pas de porte !

Début mai, le mâle chante et le cycle recommence...

En juin, les mâles meurent et les suivent les femelles. Le grillon vit un an environ.

Le mâle possède un territoire  bien délimité qu'il ne quitte pas. Il fait connaître son existence, et les limites, aux autres mâles par son chant.

Chez les grillons, l'effet de groupe a une forte incidence sur la couleur des grillons : les isolés sont plus foncés que les groupés. C'est à cause d'une synthèse du pigment noir, inhibés lors d'un regroupement,  qui entraîne l'éclaircissement des téguments(= tissu différencié-peau, carapace, écailles-couvrant le corps d'un animal).

Pour ne plus confondre grillons, criquets et sauterelles :

Chez les gryllidés l'aile droite est sur l'aile gauche, alors que c'est le contraire chez les tettigoniidés (sauterelle...).

Quant à la familles des criquets, les acrididae, les antennes sont beaucoup plus courtes que le corps.

Brèves

- Le chant du grillon est tellement agréable, que dans les régions les plus chaudes de l'Europe il est considéré comme un animal domestique, au même titre que le canari (même si son chant est moins mélodieux!).

- En Chine et au Japon, des grillons conservés en cage sont placés dans les vêtements : on veut toujours avoir sur soi un chant mélodieux!

- En Chine toujours, l'agressivité avec laquelle le grillon (Acheta) défend son territoire est mis en évidence lors de combats organisés : le village du grillon Shan Dong, à 600 km au sud de Pékin, est connu à travers la Chine pour sa principale richessse : le grillon de combat.

La chasse au grillon a lieu la nuit, à une heure du matin, muni d'une lampe torche, le chasseur repère sa proie à l'ouïe. Une bonne chasse se compose de 10 grillons. Li Gu et son grand père Fan Ju habite en ville, surnommée les "108 combattants". Tous les dimanches (jour de marché)  sur le palier se tiennent des marchés aux grillons. On est près à verser deux mois de salaire, soit le prix d'une vache, pour se procurer cet insecte qui coûte l'équivalent de   200 frs à 500 frs voire même jusqu'à 6000frs, un record! Le grillon est synonyme de courage.

Chen Guin est marchand de grillon. Un bon grillon est pour lui un insecte rouge, jaune et blanc avec une grosse tête, des pattes musclées, une queue fine, des ailes serrées. Ses favoris logent dans un pot 4 étoiles et on leur réserve même une chambre d'amour : l'Inglan! Tous les trois jours Chen Guin, sa femme et leurs 6 fils nourrissent les grillons : un grain de maïs dans chacun des 3000 pots. Depuis la dynastie Tang (terminée il y a 1000 ans), cette famille fournit la cour de l'empereur.

Il existe quatre catégories, selon les poids, pour les grillons. Un pèse grillon a été mis au point dans ce  but. Pour exciter les combattants, les joueurs utilisent une paille à grillon. Chaque combat peut-être le dernier round. Les combats ont lieu jusqu'à la fin de l'année. Dans ces  conditions un grillon vit en moyenne 100 jours, soit un peu plus de trois mois.

Le grillon dans le cinéma

-  Pinochio de Walt Disney.

Jiminy Cricket est la conscience de Pinochio, lui prodiguant des conseils, des bonnes manières.

 

J'aime les grillons

 

 

 

 

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