Le paradis tricolore par l'Oncle Hansi

 

Le paradis tricolore

 

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Le paradis tricolore

 

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Le paradis tricolore par l'Oncle HANSI

Le paradis tricolore par l'Oncle Hansi

Cet album fut publié pour Noël 1918 à l'occasion du retour de l'Alsace française.

Le « paradis tricolore » présente l'architecture alsacienne de villes et villages du Haut-Rhin.

Petites villes et villages de l'Alsace déjà délivrée - un peu de texte et beaucoup d'images pour les petits enfants alliés par l'Oncle Hansi.

Edition originale de cet album pour enfants, fortement empreint du contexte historique de la première guerre mondiale : les images idéalisent les villages alsaciens et leurs traditions tandis que les textes sont sans concession vis à vis des Allemands.

Le sentiment français, alsacien en particulier, exhalté par l'auteur n'a d'égal que la beauté des images in et hors-texte qui le portent. La narration rend compte de la vie quotidienne et de la difficulté de vivre en temps de guerre et d'annexion.

Jean-Jacques Waltz, dit Oncle Hansi, Hansi (1873-1951) : peintre, graveur, illustrateur et narrateur d'albums pour enfants pronant le retour de l'Alsace-Lorraine à la France dans le cadre de l'annexion allemande entre 1870 et 1918.‎

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Note. - Dans une école de l'Alsace française l'instituteur a donné à ses petits élèves le thème de composition suivant : « Quels sont les changements que la guerre a rapportés dans votre village ? » - J'ai prié l'élève qui avait rédigé la meilleure composition - un tout petit Alsacien de huit ans à peine - de recopier pour moi bien proprement sa « rédaction » et j'ai pensé que je ne trouverais pas de plus jolie préface pour mon livre.

Préfasse
pour le livre
de l'Oncle Hansi

Plan
1. Debut
2. Quels sont les changements que la guerre a apporté dans votre village
3. Quels sentiments ont éveillé en vous ces changements
4. Conclusion

Développement
1. Avant la guerre il n'avait pas de maisons bonbardés.
2. Avant la guerre les vivres n'était pas si cher que mai-n-ten-a-nt. Depuis la geurre il y a des nouvelles routes et un petit chemin de fer qui passe à Wesserling et qui fait baucoup de potin. Avant la guerre il y avait pas des soldats dans les maisons ; ils laugent dans les granges des siviles et les officiers logent dans les chanmbres. Les soldats donne du pain de la viande et du pinar aux pauvres gen-t-s. Les soldats aiment baucoup l'Alsace et les Alsaciens aimes aussi baucoup les soldats Français.
3. Depuis la guerre nous avons des maîtres Français et avant nous avions des maitres boches. Les maîtres Français sont bien plus gentils e-s-t plus instruits que les boches qui etaient bêtes et aimai rien que la bier. Nous étions très heureux quand nous avons vu venir les Français à Mulhouse on leur aportaient a boir et on leur a donner du chocolat des bonbon et des fleurs et puis quand les boches sont revenu les gen-d-s n'on rien donner puisqu'ils étaient furieux.
4. La conclusion sait que nous devon-s prier le bon dieux dieue Dieu que les Français il sont victorieux pisque si les boches il revenait nous serions trés malheureus. Les boches son pas des personnes comme nous. il sont des cochons.

Louis Wuzendeher
de
Wesserling
(Alsace Française)

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Il y a, au milieu de 1'Europe en flammes, un petit pays dont les habitants vivent heureux. Oh ! je ne veux pas parler des Suisses, non ! Il me semble que ceux d'entre eux qui ont toléré, sans dire leur indignation, l'injustice commise envers leurs frères de Belgique doivent avoir trop de remords pour se dire heureux. Ces gens privilégiés, ce ne sont certes pas les Boches. Car des criminels, des pillards, des assassins, éprouvent peut-être quelque satislaction à assassiner et à voler, mais ce n'est pas là du bonheur. Et puis, pour être heureux, les Boches ne sauraient se passer de lard, de saucisses, de bière, et, Dieu merci - pour le moment ils n'en ont point.

Le pays heureux dont je veux vous parler, c'est la toute petite partie de 1'Alsace que nos troupes ont libérée au mois d'Août 1914. Ce petit coin est heureux tout à fait. Il est protégé par des tranchées où veillent, calmes et vigilants, les chasseurs et les territoriaux. Certes, il y a là, comme ailleurs en France, des villages détruits, et les ruines de vieux clochers qui avaient survécu à tant de guerres se découpent tristement sur l'horizon. Ces ruines, on les conservera, comme on laissera subsister dans toute sa laideur arrogante, le château du Haut-Kœnigsbourg. Les églises en ruines autant que le faux château du moyen-âge témoigneront éternellement de la barbarie de nos voisins d'Outre-Rhin. Plus tard, on y conduira les petits Français d'Alsace ; ceux qui n'auront pas connu l'affreux Boche verront là ce que vaut le peuple qui pendant 47 ans nous a opprimés et brutalisés.

Mais oublions les ruines, oublions le Haut-Kœnigsbourg et toutes les souffrances qu'il nous rappelle, et allons visiter les petites villes, les villages de 1'Alsace déjà heureuse.

Si nous entrons en Alsace par la trouée de Beltort, en suivant la route par laquelle, un beau jour d'été de 1914 nos magnifiques troupes de l'Est se sont élancées sur 1'ennemi, nous arrivons à Dannemarie. C'est un gros village avec de belles maisons ; j'ai dessiné pour vous celle que j'ai trouvée la plus jolie : c'est 1'auberge de la Carpe.

Ces maisons d'Alsace m'ont charmé de tout temps ; leurs façades gaies, le dessin amusant de leurs poutrelles, leurs fenêtres toujours garnies de géraniums nous consolaient un peu aux jours les plus tristes d'autrefois. Mais à présent elles sont plus belles encore ; le drapeau français flotte à la fenêtre du milieu, des lampions tricolores se balancent au milieu des fleurs et devant la porte quelque brave Poilu fume sa pipe. Maintenant leur beauté est complète.

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En allant de Dannemarie à Massevaux on traverse de bien beaux villages. Ils sont enfouis dans de grands arbres, que dépasse tout juste la pointe du clocher ; leurs maisons enguirlandées de vigne ont des portes sculptées ; les poutrelles, le crépi, sont ornés de dessins naïfs et charmants. J'espère bien que nos architectes, avant de reconstruire les mairies et les écoles des villages détruits, iront étudier en tous ses détails cette architecture gracieuse.

Ces villages, vous irez les voir après la guerre ; mais ce que vous n'y verrez plus, ce sont les Poilus cantonnés un peu partout. Ils sont de la famille, ils aident aux travaux des champs, ils rentrent le blé, et le soir on les voit au milieu d'un cercle d'enfants raconter de terribles histoires de guerre. Car le Poilu de France et les enfants d'Alsace sont de grands amis. A 1'école les enfants d'Alsace apprennent le français classique et ils l'apprennent fort bien. Mais les mots qu'il faut savoir pour décrire les hauts faits des chasseurs alpins et exprimer la haine du Boche, ce sont les Poilus qui les enseignent. Et dans les villages où sont cantonnées des troupes du Midi, les petits enfants de l'Alsace ont pris l'accent de Marseille.

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Avant d'arriver à Massevaux, vous verrez un village appelé Saint-Cosme. Il y a là, sur une colline, une vieille, vieille église, ombragée par deux tilleuls centenaires. Autour de l'église se trouve, protégé par le mur d'enceinte, ce qu'en alsacien on appelle si joliment le « Champ de Dieu » le « Gottesacker », c'est-à-dire le cimetière. On y voit de vieilles tombes et quelques-uns des braves qui se sont battus pour la France dans les guerres d'autrefois y sont enterrés. Mais il y a aussi des tombes toutes fraîches, des croix blanches toutes neuves, ornées de cocardes tricolores, de drapeaux ; elles disparaissent sous les fleurs. Et toujours, dans le vieux cimetière, vous verrez des enfants apporter des bouquets, des couronnes, sur les tombes de ceux qui sont morts là-bas, dans la montagne, pour défendre le village contre le Boche. Je voudrais que les mamans, les fiancées, les sœurs des soldats enterrés à Saint-Cosme puissent rendre visite aux tombes toujours fleuries au pied de la vieille petite église alsacienne... Elles seraient moins tristes, si elles pouvaient voir l'hommage tous les jours renouvelé des enfants du village, les fleurs d'Alsace toujours fraîches sur la tombe de ceux qui dorment le sommeil glorieux dans la terre sainte du vieux cimetière d'Alsace.

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MASSEVAUX
Dans mon enfance, quand dans la journée j'avais été brutalisé au lycée boche, quand le professeur d'allemand nous avait enseigné que la langue allemande était la plus belle et la plus ancienne de toutes les langues, quand le professeur d'histoire avait insulté nos pères et tous les Français, en remontant jusqu'au temps de Charlemagne, quand le professeur de français, originaire de Kœnigsberg, nous avait prouvé que ni les Français ni les Alsaciens ne savaient leur propre langue et que ce n'est qu'à Kœnigsberg que l'on parle le français correctement, quand à mon retour du lycée, d'où tous les jours je rapportais quelques gifles et quelques heures d'arrêts, j'avais rencontré les officiers insolents battant le pavé de notre ville, les fonctionnaires, laids et arrogants, et que je rentrais chez moi, triste et découragé, alors, pour me consoler, mon père me racontait combien notre petite ville était belle du temps français. Et il me décrivait les soirs d'été, où la retraite avec tambours et clairons passait devant la maison, ou bien l'entrée d'un régiment régiment avec avec ses sapeurs, ses grenadiers et ses voltigeurs.

Je m'endormais content et je faisais de beaux rêves : je voyais les soldats français de garde à la mairie et le drapeau tricolore au balcon, j'étais moi-même parmi les gosses qui suivaient les régiments et je me sentais heureux.

Mais au matin le beau rêve était fini il fallait aller au lycée et subir les insultes du Professeur et la glorification méthodique de l'Allemagne. C'étaient de tristes réveils... Et bien, chaque fois que je suis à Massevaux, j'ai le bonheur de voir réalisé mon beau rêve d'enfant.... Le drapeau tricolore flotte à la mairie, le commandant d'armes fume sa pipe au balcon. Au-dessous, c'est le corps de garde. Les hommes devant le poste de police interpellent la cuisinière de Monsieur le curé, se font ravitailler en vin blanc par les gosses, tous fiers de porter des bidons, et écoutent patiemment les histoires de 1'autre guerre que leur racontent les vieux.

Dans la rue passe un zouave superbe ; c'est un des nombreux engagés volontaires alsaciens, qui pour venir en permission tiennent à mettre la tenue légendaire de ce corps. Avec leur chéchia, leur petite veste et leur large pantalon rouge, ils suscitent sur leur passage l'admiration sans borne de leurs concitoyens, grands et petits. J'ai vu à Massevaux arriver un régiment composé, comme ceux dont parlait mon père, de sapeurs, de grenadiers, de voltigeurs ; ils portaient des brisques et des fourragères.... et ils me semblaient plus beaux, plus héroïques encore que tous ceux dont je rêvais quand j'étais petit. Le régiment forma le carré sur la place du marché, et tous les entants de Massevaux vinrent en courant entourer les beaux soldats. Et quand le colonel, après avoir dit qu'il était heureux de se trouver en Alsace avec ses hommes, fit sonner au drapeau, alors d'un seul geste fervent et pieux tous les enfants se découvrirent... et cela, c'était encore plus beau que tout ce que j'avais rêvé, quand j'étais petit.

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Les enfants d'Alsace ! Sont-ils gentils, bien élevés, depuis qu'ils sont français ! Avant la guerre ils étaient turbulents, batailleurs. Quand, par exemple, j'étais installé dans une rue de village pour dessiner, leur groupe bruyant devenait vite insupportable, ils se disputaient, criaient ces gros mots dont se servait l'instituteur boche pour faire leur éducation, et finalement se donnaient des coups, renversaient mon chevalet et mon pot à eau. Ils ont oublié les gros mots du Boche, ils sont polis, parlent le français fort joliment et puis ils sont si heureux de ne plus recevoir de coups à 1'école ! Les petits garçons portent des bonnets de police, des bérets de chasseurs alpins, ou même de vieux képis rouges du début de la guerre. Quelques-uns ont reçu de leur ami le Poilu un authentique pantalon rouge qu'ils ont coupé à la taille de leurs petites jambes, et enroulent en spirales savantes les bandes molletières au-dessus de leurs pieds nus. Les petites filles aiment à se coiffer de bérets ou bien à mettre de beaux rubans tricolores dans leurs cheveux. Aux grandes occasions, quand arrive un général ou un gros personnage de la République, les petites filles revêtent le costume qui, à Paris, passe pour être le costume alsacien : c'est d'abord une sorte de grande cravate Lavallière perchée au haut de la tête (il paraît que cela représente la coiffe alsacienne), puis une petite jupe très rouge et très courte et un petit tablier de dentelle encore plus court. Quand les poilus viennent en Alsace ils sont bien contents de voir les petites filles ainsi vêtues, mais je crois qu ils le seraient encore plus s'ils voyaient le vrai costume, si beau et si sobre, tel qu'il se porte dans les environs de Strasbourg.

J'ai eu à Massevaux une autre joie ; il faut que je vous la raconte. J'ai cantonné dans la maison d'un Boche, d'un de ces hauts fonctionnaires qui depuis quarante ans ont encombré nos petites villes de leur bruyante arrogance et enlaidi nos paysages de leur silnouette biscornue. Quand, au matin du 5 Août, les agiles soldats aux pantalons rouges dévalèrent les pentes du versant alsacien des Vosges, le « Herr Ooerpostrat » et sa « Gnaedige Frau » plantèrent là le café au lait matinal ; à la hâte ils emballèrent dans l'informe sac vert le col en celluloïd, les manchettes en papier et les tartines de pain noir beurré de beurre d'Alsace. Madame se coiffa de son petit chapeau vert, s'arma de son ombrelle de cotonnade, Monsieur mit le sac au dos, et ils partirent en courant dans la direction du Rhin. Certes, ils craignaient les soldats aux pantalons rouges, mais ils craignaient surtout la conduite de Grenoble que les Alsaciens de Massevaux s'apprêtaient à leur faire. Leur villa prétentieuse est restée telle qu'ils 1'avaient quittée. Dans la salle à manger, les lourdes cruches de grès, les « Mass » continuent à orner le dressoir en chêne plaqué, aux sculptures tirebouchonnées. Au-dessus du canapé, les cornes de cerf alternent avec le portrait de tous les Guillaume et les chromos d'après les tableaux de Bœcklin. Mais j'ai choisi, pour y dormir, le boudoir « modern style » de la «Gnaedige Frau ». Ah ! ce boudoir !
J'ai copié pour vous la photograpnie qui représente la maîtresse de maison. J'aurais bien voulu dessiner aussi, pour que vous puissiez vous en faire une idée, l'ornement principal de ce boudoir, un énorme meuble : c'est un « canapé-bibliothèque-armoire-à-glace » aggravé d'étagères en style « macaroni enragé ». Mais il est vraiment trop compliqué et trop difficile à reproduire. Dans la bibliothèque sont rangés des livres « de luxe », des classiques reliés en toile cirée rouge et dorée, à 8o pfennig l'exemplaire ; et quand on s'assied sur le canapé, il faut craindre que les objets d'art des étagères, c'est-à-dire des petits cochons en porcelaine et les bustes de Schiller et de Gœthe en plâtre doré ne vous tombent sur la tête. Ce meuble aurait dû me donner le cauchemar... mais au contraire, j'ai fort bien dormi. C'est que j'étais content en pensant que Monsieur le « Conseiller supérieur des Postes » et « gracieuse Madame la Conseillère des Postes » grelottaient là-bas, quelque part en Allemagne, dans des lits dont les draps et les couvertures avaient été réquisitionnés pour les besoins de l'armée, qu'ils buvaient de l' « Ersatz-Kaffee » fabriqué avec des glands de chêne, et qu'ils mangeaient du pain sec et noir, contenant 22 % de sciure de bois, en regrettant le beau pays où ils s'étaient engraissés depuis quarante ans. Et je songeais que le jour où tous les « Ober et Unterpostrat », les « Regierungsrat », les « Professor », les « Kreisdirektor » et les architectes boches des monuments historiques auront passé le Rhin, - comme celui qui bien involontairement m'a offert l'hospitalité - la paix et le bonheur règneront de nouveau sur terre.

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Je ne vous décrirai pas tous les jolis villages des vallées de Massevaux et de Thann : Lauw, dont la grand'rue est si jolie quand passent les régiments, Kircherg, Oderen, avec leurs églises qui dominent la vallée. De loin on voit le drapeau tricolore flotter gaiement au haut du clocher et annoncer qu'il y a là un village heureux, français et libre. Et partout des Poilus et des enfants. A Seewen, village blotti dans la montagne, j'ai vu des Poilus Sénégalais tout noirs, un large coutelas à la ceinture, qui ont un air terrible. En bien, les enfants - qui autrefois se sauvaient quand ils voyaient la pointe du casque du gendarme boche - s'entendent à merveille avec eux. Thann avec sa fière cathédrale est bien joli aussi ; malheureusement quelques belles vieilles maisons ont beaucoup souffert du canon allemand, et les petits garçons ont les poches remplies d'éclats d'obus.

De Thann je voudrais vous conduire dans la vallée de Munster. Nous traversons d'abord de grandes forêts de sapins. On y travaille partout ; les Poilus construisent de belles routes, des cantonnements, des abris... Tous sont joyeux. C'est en chantant que les bûcherons abattent des arbres, que les charbonniers érigent leurs meules, car celui qui vient contrôler leurs travaux, ce n'est plus un étranger, ce n'est plus le garde-général boche, hautain, hargneux et braillard, prodigue de menaces et de procès-verbaux ; c'est maintenant un Alsacien bienveillant et bon, colonel dans l'armée française. Plus haut, la forêt devient silencieuse. Souvent dans une clairière, au milieu de grands sapins mystérieux et frissonnants où le vent chante une plainte sans fin, le soleil éclaire d un mince rayon doré une petite croix de bois blanc, toute fleurie, sur laquelle est gravé au couteau, un nom, un cor de chasse, ou le chiffre glorieux du 152e Régiment. Sur la tombe, la mousse met un épais tapis, piqué de fraises rouges comme du sang, les fougères agitent doucement leurs larges feuilles dentelées, et tout autour, droits comme des cierges, digitales et bouillons blancs montent vers le ciel... On dirait que le Bon Dieu lui-même a voulu que la tombe du héros français qui dort sous les sapins d'Alsace fût belle entre toutes... Ceux qui reposent là, ont conquis la vallée pas à pas et l'ont défendue jusqu'à la mort, au Hartmannsviller, au Linge, au Reicnacker...

Plus haut encore nous sortons de la forêt, nous arrivons aux cimes où avant la guerre passait la frontière ; nous y allions autretois bien souvent le dimanche en excursion et quand, de l'autre côté des bornes frontières, nous apercevions un soldat français, nous étions heureux pour toute la semaine. Des soldats français, on en voit partout maintenant. Mais quel bonheur de pouvoir enfin se promener dans nos montagnes, sans rencontrer à chaque tournant du sentier le groupe agaçant des touristes boches, avec leurs costumes verts, leurs sacs énormes, leurs lunettes et leurs chapeaux à plumes... Les Boches n'ont pas complètement disparu de nos montagnes, on en rencontre encore ; mais ceux-là n'ont plus rien, rien du tout de l'arrogance des touristes d'autretois : ce sont les « Fritz » penauds et ahuris que ramènent les Alpins, quand du côté du Linge ou du Reicnacker, ils ont réussi quelque coup de main dans la tranchée allemande. Ceux-là, je vous assure qu'on aime à les rencontrer...

Je vais maintenant vous mener dans un endroit que j'aime beaucoup, où je vais rêver bien souvent. Nous descendons un peu dans la vallée, nous marchons dans la forêt, nous prenons un boyau d'accès pour ne pas être vus par les Boches, et nous débouchons en avant d'une tranchée. Je ne vous décris pas l'endroit avec plus de précision, car les Boches seraient capables de marmiter mon petit observatoire. Là, on est bien caché par les buissons et les fougères. A mes pieds, entre les troncs noirs de deux sapins, s'étale un panorama que je ne me lasse pas de regarder. Au premier plan, des fils de fer ; puis un peu plus loin un fouillis de branchages, de rochers gris... C'est la tranchée boche. Mais les Boches ont pris la couleur du terrain à tel point qu'on ne les voit pas. Quelquefois pourtant, une vague forme grise et verte - cela pourrait être un rocher ou un tronc d'arbre - semble bouger. Un coup de feu éclate... C'est encore un Boche qui s'est fait repérer par un guetteur vigilant... Puis c'est de nouveau le calme et le silence. En arrière de la tranchée, les ruines d'un village, et au delà des dernières collines - la plaine lumineuse d'Alsace. On la voit presque tout entière avec ses villes, ses villages, ses champs, ses prés et ses rivières. A l'horizon, très loin, une petite pointe bleue - c'est la cathédrale de Strasbourg ; plus loin encore, un diamant scintille - c'est le Rhin. Le pays est calme comme en un beau jour de paix. Seules, les « saucisses » immobiles dans l'air ou quelque sourde détonation lointaine nous rappellent le drame affreux. Quand autrefois je regardais d'ici la plaine d'Alsace, de tous les clochers que l'on voit là-bas montait vers le ciel, comme une prière et un chant d'espoir, l'harmonie émouvante de la sonnerie des cloches... Maintenant les clochers d'Alsace sont muets. Toutes les cloches, les petites et les grandes, ont été « réquisitionnées » (car tel est le terme dont on se sert maintenant, pour désigner le vol dans les pays envahis par les Allemands). Toutes ! les très vieilles, aux sons graves, ornées de devises naïves et de l'image de Sainte Odile ; les grands bourdons des cathédrales, et les gais carillons des villages des Vosges, achetés avec les économies lentement amassées des fidèles. Toutes, elles avaient annoncé les grandes joies et les grands deuils de notre histoire : elles avaient sonné l'avènement de la liberté en l'an 1789 et le glas en 1871. Maintenant elles sont brisées, et leurs fragments informes, chargés sur de lourds camions, ont été transportés là-bas, en Prusse, dans l'usine où tout le métal est transformé en machines à tuer. Et après les cloches, les boutons de portes, les casseroles de cuivre jaune et les moules à kougelhopf en cuivre rouge dont les ménagères alsaciennes sont si fières, ont suivi le même chemin ; puis le Boche a « réquisitionné » les nappes et les draps de lit, et le blé, le vin, les pommes de terre, ne laissant au paysan que tout juste ce qu'il faut pour ne pas mourir de froid et de faim.

Et ce pillage méthodique n'est pas le plus grand des malheurs dont souffre ce pauvre pays. Comme un vol de vautours, dès la déclaration de guerre, une nuée de policiers prussiens s'est abattue sur l'Alsace. On a arrêté, jeté en prison, déporté en Allemagne tous ceux que l'on soupçonnait d'espérer encore. Après des procès iniques, on a fusillé, emprisonné des Alsaciens, d'autres sont morts en exil. Le pays vit sous le régime de la terreur la plus effroyable que l'on connaisse : la terreur organisée par la police prussienne. Il est défendu de se saluer en français dans la rue, et quand une mère se refuse à dénoncer son fils qui sert dans l'armée française, c'est la prison. Tous les matins dans les villages, les soldats font l'appel des femmes et des enfants et les emmènent comme des esclaves pour les faire travailler aux tranchées. Et le gendarme perquisitionne pour trouver encore une pièce d'or cachée dans le matelas, un boisseau de blé à la cave, et la menace aux lèvres, il extorque des souscriptions pour l'emprunt. Les soldats prennent tout ce qu'aurait pu oublier la réquisition officielle, et envoient à leur famille, en Allemagne, la dernière pomme de terre, la dernière motte de graisse trouvée dans la ferme alsacienne. Le pays qui s'étend là, sous mes yeux, est un des plus malheureux qui soient au monde. Et pourtant je sais qu' ils ont gardé là-bas leur courage joyeux, leur fierté d'autrefois. Nulle souffrance n'a pu abattre leur confiance. Car ni les fils de fer, ni les policiers, ni la censure, n'ont pu empêcher les Alsaciens de se raconter les uns aux autres la glorieuse victoire de l'armée de la Marne. Périodiquement, le « Statthalter » se croit obligé d'informer les Alsaciens par voie d'affiches qu'ils sont Allemands et qu'ils resteront Allemands. Mais, la nuit, les affiches sont lacérées ou barrées d'un « Vive la France ! » vengeur écrit au charbon. Sous le manteau circulent des articles de journaux français introduits en contrebande, copiés et recopiés par les jeunes filles au prix des plus grands risques. On se passe, on se communique les chansons frondeuses, les blagues, et de mystérieuses prières pour la France. La « Ballade des cartes de vivres » passe de mains en mains, on l'apprend par cœur : « Aluminium, cuivre, laiton - anneaux d'or, caoutchouc, coton - ils ont tout pris, oh les co... »
Je la connais bien, cette lutte de toutes les heures par laquelle depuis 47 ans on a résisté à la force brutale. Je reste des heures à regarder cette terre où tant de courage joyeux s'oppose à tant de souffrance. Et quand je songe aux prisons bondées, aux conseils de guerre condamnant sans répit, aux victimes exilées, emprisonnées, fusillées, aux malheureux envoyés à la boucherie par l'oppresseur, quand je songe aux deuils accumulés, aux familles séparées, à toutes les tortures qu'ils subissent là-bas, il me semble que les souffrances et les malédictions d'un peuple qui a souffert tout ce que l'on peut souffrir s'étendent sur cette plaine comme un de ces nuages mortels et empoisonnés inventés par leur chimie infernale... Et mon cœur se serre...

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Mais voici que dans le ciel, au-dessus de la tranchée, passe un avion ; il est blanc, avec de belles cocardes tricolores sous les ailes. Il s'en va là-bas, vers l'Alsace malheureuse. Quelques flocons blancs - des shrapnells boches - lui font escorte. Mais il n'en a cure, il file tout droit au-dessus des villages d'Alsace, il laisse tomber derrière lui un essaim de papiers qui brillent au soleil et tombent en tourbillonnant. C'est un aviateur, qui lance sur l'Alsace la parole d'espoir, la promesse que fit aux peuples opprimés, au nom de tous les hommes justes, le premier des citoyens libres d'Amérique : « Il faut que l'injustice dont la Prusse s'est rendue coupable en 1871 soit réparée, afin que soit assurée la paix du monde. » Et j'imagine la joie qui accueillera ce message dans les villes, dans les villages d'Alsace. Tous savaient là-bas que la France est plus belle que jamais, dans sa décision farouche ; ils savaient l'invincible héroisme des soldats de la Marne, de Verdun, de Picardie ; ils sauront maintenant que derrière cette armée sans peur et sans reproche se massent les légions innombrables des hommes libres et fiers d'Amérique, venant à la rescousse des armées de France et d'Angleterre, dans la bataille pour la liberté du monde.

Et voici que la plaine d'Alsace me paraît moins triste... L'avion est loin, loin du côté de Strasbourg ; mais partout où il a passé la plaine semble s'illuminer. Les rivières scintillent, les clochers, les toits roses, les maisons blanches brillent comme des émaux au milieu des prés verts, et là-bas, là-bas, la cathédrale lointaine paraît grandir. Je la vois toute proche maintenant ; la façade svelte et rose, la flèche diaphane, dorée comme à l'aurore d'un beau jour de printemps, s'élèvent bien haut au-dessus des brouillards de la plaine ; et sur la plate-forme, à la place même où il se dressait il y a 47 ans, claque joyeusement le drapeau de France.

Lorsqu'en 1790 le drapeau de la République fut hissé au haut de la cathédrale, il devait - comme on disait alors - apprendre aux Allemands des bords du Rhin que « l'Empire de la liberté était fondé en France ». - Quand sera réalisé mon rêve de tout à l'neure - il le sera comme mon rêve d'entant est dès maintenant réalisé à Massevaux - le drapeau tricolore à cette place ne sera pas seulement le signe de la libération de l'Alsace ; sa signification sera plus grande.

Il apprendra au monde que l'Ogre est abattu, que le règne de la paix et de la justice est fondé sur terre. Alors nous ne verrons plus souffrir des peuples opprimés; alors les enfants de Belgique, de Serbie et ceux de Bohême ne pleureront plus leurs pères enchaînés dans les geôles d'Allemagne et d'Autriche, les petits Italiens du Trentin ne seront plus brutalisés par le Tedesco honni, les petits Polonais ne seront plus battus par l'instituteur prussien pour avoir dit leurs prières en polonais. Et quand viendront les beaux soirs d'été nous verrons de nouveau à Strasbourg, sur la place du Dôme, les enfants d'Alsace se donner la main et chanter comme autrefois les vieilles rondes où l'on parle du printemps, des cigognes et du bonheur de vivre sur cette terre d'Alsace, si belle quand elle est française et libre...

Mon village

 


 

Musique : Carillon d'Alsace (valse) - Verchuren André - 2,50 Mo - 2 mn 51 :

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